Théophile de Viau - XVIIème siècle
Un corbeau devant moi croasse ;
Une ombre offusque [1] mes regards ;
Deux belettes et deux renards
Traversent l’endroit où je passe ;
Les pieds faillent [2] à mon cheval,
Mon laquais tombe du haut mal [3] ;
J’entends craqueter le tonnerre ;
Un esprit se présente à moi ;
J’ois Charon [4] qui m’appelle à soi,
Je vois le centre de la terre.
Ce ruisseau remonte en sa source ;
Un bœuf gravit sur un clocher ;
Le sang coule de ce rocher ;
Un aspic s’accouple d’une ourse ;
Sur le haut d’une vieille tour
Un serpent déchire un vautour ;
Le feu brûle dedans la glace ;
Le soleil est devenu noir ;
Je vois la Lune qui va choir ;
Cet arbre est sorti de sa place.
[1] M’empêche de voir
[2] Manquent, se dérobent
[3] L’épilepsie
[4] J’entends Charon : c’est Charon qui, sur son bateau, prend les morts pour leur faire traverser l’Achéron, fleuve des Enfers, dans la mythologie grecque et latine.
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